top of page

La guerre qui mena à la guerre

Après la révolution du Maidan et l'expulsion du président prorusse Ianoukovytch, l'Ukraine est fracturée. D'un côté, les nationalistes ukrainiens de l'ouest du pays, qui veulent faire de la langue ukrainienne la seule langue officielle du pays et de l'autre, les populations russophones de l'Est, méfiantes et parfois même hostiles à toute domination venant de l'Ouest.

Ceci est le deuxième article sur la guerre en Ukraine. Lisez le premier ici.


Beaucoup d'Ukrainiens de la région du Donbass, qui inclut les oblasts (provinces) de Louhansk et Donetsk, sont opposés à la prise de pouvoir par les nationalistes à Kyiv. Ils considèrent, avec raison, que l'expulsion du président Ianoukovytch n'est pas constitutionnelle et donc illégale. Le Kremlin de Poutine, opportuniste, voit là la possibilité de soutenir les éléments prorusses les plus radicaux pour s'assurer que le Donbass demeure hostile à Kiyv.


C'est donc une division réelle au sein du peuple ukrainien, une authentique méfiance entre l'Est et l'Ouest, si on simplifie un peu, qui a servi de terreau pour les manipulations de certains aux dépens des gens ordinaires. C'est le danger de toute révolution. À partir du moment que le pouvoir est saisi hors du cadre légal de la nation, tous les abus deviennent possibles, c'est la loi du plus fort risque de l'emporter sur toutes les lois votées par les parlements successifs du pays. All bets are off, comme disent les Anglais.


Je ne prétends pas être un spécialiste de ce conflit, et j'invite quiconque est mieux informé à corriger mes erreurs, mais voilà ce que je retiens de mes recherches et lectures: une lutte menée contre un gouvernement prorusse corrompu et de plus en plus autoritaire, et qui tentait de faire un détournement de pays en ignorant le désir répandu dans la population d'un rapprochement avec l'Europe, a créé une fissure importante dans le peuple, fissure ensuite élargie et aggravée par les forces radicales des deux côtés.


La relation entre le Donbass et le reste du pays dégénéra rapidement, alors que des milices prorusses soutenues par la Russie se mirent à prendre possession des bâtiments administratifs des gouvernements régionaux. Le 2 mai 2014, Kyiv envoya l'armée pour rétablir l'ordre, et la guerre du Donbass se déclencha.

L'armée ukrainienne, mal entraînée et mal équipée, se fait battre à de multiples reprises au début de ce conflit. Ce n'est qu'au mois de février 2015, après plus de neuf mois de guerre, qu'un cesser-le-feu est signé lors de l'accord de Minsk II. Depuis la signature de cet accord qui devait théoriquement mener à une solution diplomatique négociée, la guerre dans le Donbass devient un conflit de basse intensité, où les forces en présence s'échangent des salves d'artillerie ou des tirs de snipers, mais où aucun véritable effort de conquête territoriale n'a lieu.


Lorsque j'ai tourné un épisode de la série voyage Avec ou sans cash à Kyiv, à l'été 2018, le seul signe visible de cette guerre était la rangée de photos et de fleurs, commémorant le sacrifice des soldats morts dans le Donbass. Mais bien que le reste de la nation tentait de continuer à vivre malgré le conflit, l'armée ukrainienne, elle, fortifia ses positions dans l'est, entraîna ses soldats avec l'aide de conseillers occidentaux (dont plusieurs officiers canadiens) et commença sa modernisation. Si bien qu'aujourd'hui, c'est une armée aguerrie et bien organisée qui fait face aux Russes.


Ce qui ressort de ce triste enchaînement d'événements, c'est à quel point une population qui laisse le venin de la méfiance et de la haine s'insinuer dans ses rangs devient vulnérable à toutes les manipulations par des partis assoiffés de pouvoir qui n'ont absolument pas le bien commun comme priorité.

Les inquiétudes des gens du Donbass envers la révolution du Maidan étaient tout à fait naturelles et fondées, mais l'incapacité des nationalistes de Kyiv de tendre la main, d'inclure ces gens dans la discussion, de leur tendre une branche d'olivier, en quelque sorte, a ouvert la voie libre à tous les agents qui œuvrent à la solde du Kremlin.


Que devons-nous retenir de tout ça?


À mon avis, deux choses, principalement:


• Lors d'un conflit politique, si les parties se radicalisent, une mécanique d'escalade de la méfiance vers la haine et la violence est quasi inexorable. Les radicaux, laissés à eux-mêmes, ne savent pas comment apaiser, comment briser le cercle vicieux de la violence.


• Le seul remède à une telle fièvre, c'est l'intervention massive des gens plus modérés, qui doivent montrer la voie de la désescalade. Malheureusement, les modérés sont souvent aussi plus passifs, voire peureux. Mais "attendre que ça passe", "espérer que les autorités sauront gérer la situation", c'est insuffisant. La majorité, lorsqu'elle se manifeste, met les balises de ce qui est socialement acceptable et de ce qui est socialement désirable. Il faut donc que cette majorité visible et active soit modérée, tournée vers la reconnaissance des maux et problèmes, vers la réparation des injustices, vers la réconciliation des différents sous-groupes qui composent la grande société.


En deux mots, il faut que tous ceux qui veulent défendre le bien commun et l'harmonie dans la société passent à l'action, se rendent visibles, et investissent leur argent dans tous ces organismes et associations qui se battent pour un monde meilleur et qui sont toujours fatalement sous financées. Chacun n'a qu'à faire ce qu'il peut, et l'effet démultiplicateur du nombre assurera que tous ces gestes auront un impact immense.

Ceci résume l'essentiel de mes réflexions après deux mois de guerre en Europe. Des réflexions qui m'ont éveillé à l'urgence d'agir contre la haine et pour le respect et la réconciliation à tous les niveaux. C'est donc avec ce désir de contribuer à un avenir meilleur pour la planète et pour l'humanité que je poursuivrai mon travail sur Notre Cinéma Maison et le projet Zeitgeist. Je ne peux plus séparer l'un de l'autre.


1 comment
bottom of page